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 « La maison est un sépulcre où nos peurs et nos souffrances sont enfouies ».

Daphné Du Maurier, Rebecca

Intentions

Nous croyons donc à la force de ce geste : donner le nom du crime, car donner le nom du criminel ne suffit pas, ce n’est pas un acte politique, ce n’est un acte qui ne protège de la reproduction du même qu’à court terme.

Notre adaptation du roman éponyme de Daphné Du Maurier, traitera d’un sujet encore largement sous-estimé, et surtout invisibilisé dans la littérature comme dans les arts visuels, le féminicide. Une majeure partie de la production audiovisuelle ou même théâtrale présente des œuvres mettant en scène le meurtre d’une (ou plusieurs) femme, sans jamais les désigner du nom approprié : féminicide.

Le roman de Daphné du Maurier, dont Alfred Hitchcock tira une adaptation remarquable vient aussi d’être une nouvelle fois porté à l’écran par Ben Wheatley (de manière moins convaincante). Si la version du maître du suspens est un chef d’œuvre du genre, elle n’en demeure pas moins, d’un point de vue moral et féministe pour le moins problématique. On y suit le parcours d’une très jeune femme, dame de compagnie d’une dame âgée capricieuse, qui tombe amoureuse et épouse un riche lord anglais sortant du deuil éprouvant de sa prestigieuse épouse, Rebecca. Cette jeune femme épouse rapidement l’homme riche, et part alors vivre avec lui, dans son impressionnant manoir, Manderley. Là, règne une impitoyable maîtresse de maison, Mrs Danvers, toujours fidèle à la défunte, et désapprouvant totalement ce remariage qu’elle juge indigne. L’héroïne de l’histoire, que nous ne nommerons pas pour le moment, tout comme l’autrice ne la nomme pas,  découvrira que la stupéfiante Rebecca a été assassinée par son mari. Celui-ci ne supportait pas ses mœurs légères et sa « cruauté » envers lui. Un homme à la fois contrôlant, manipulateur et extrêmement autoritaire, sous le masque du prince charmant plein d’un mystère si séduisant.

Dans l’œuvre originale, tout comme dans ses adaptations cinématographiques, la nouvelle gentille épouse couvrira le forfait de son époux, se surprenant de son tout nouveau pouvoir et vérifiant de cette façon l’attachement de son mari meurtrier pour elle. Trouver force et épanouissement personnel dans l’acceptation d’un rôle de femme dévouée à son mari meurtrier ne fait pas partie des valeurs que nous souhaitons défendre. Notre héroïne ira puiser en elle une autre forme de résilience et d’empowerment…

Pourquoi les récits que nous lisons, visionnons, recevons, comportent-ils si peu d’histoires d’entraide entre les femmes ? Pourquoi semble-t-il si difficile de concevoir des amitiés féminines loin de rivalités stériles ? Pourquoi devrait-on être jalouse d’une ex jusque dans sa mort ? Comment trouver les ressources de son épanouissement dans la construction de réseaux de femmes solidaires ? Nous avons la conviction profonde que présenter d’autres schémas d’être au monde est un acte artistique révolutionnaire. Et cela passe aussi par la présentation de récits portés par des femmes portant secours à d’autres femmes, aimant d’autres femmes, renforçant d’autres femmes, ne rivalisant pas avec d’autres femmes. Et ceci, sous un female gaze précis, poétique et amoureux.

Daphné du Maurier s’inscrit dans la lignée de grande romancières anglo-saxonnes comme les sœurs Bronté (Jane Eyre, les Hauts de Hurlevent, …) ou même Mary Shelley. Un romantisme noir, presque gothique, mystérieux. Une quête haletante, complexe, mi-effrayante, mi-somptueuse. Le spectacle prendra corps au sein d’une scénographie-manoir mouvante, à l’image de Manderley, hantée par les multiples visages de la défunte Rebecca, sans jamais la révéler. Nous plongerons avec une délectation jubilatoire dans cette forme spectaculaire y semant trouble et frissons, sondant les bégaiements, le caractère ambigu et questionnant, avec la volonté toujours intacte d’arracher la lumière des ténèbres.

Regard féminin/female gaze

« Le male gaze au cinéma a été théorisé par l’universitaire Laura Muleyen 1975. Il définit la façon dont le cinéma définit les personnages féminins comme des objets, en utilisant une approche psychanalytique. Selon Mulvey, les femmes dans les films sont regardées par la caméra, les personnages et les spectateurs. Les techniques du cinéma ont été construites autour du male gaze. De facto, le male gaze, c’est la convention. Elle s’aventure à la fin de son essai à imaginer une alternative à cette forme de cinéma, alternative que l’on nomme désormais le female gaze. Le female gaze n’est donc pas l’opposé absolu du male gaze comme on pourrait le croire. Ce dernier n’a d’ailleurs pas de réel opposé. Une femme tout autant qu’un homme, peut créer du male gaze au sein d’un film puisque nous avons tous baigné dans cette façon normée de représenter les choses au cinéma. De même que le female gaze n’est pas l’apanage des femmes cinéastes. Il n’en vient pas qu’à nous d’en créer au cinéma pour renverser la balance. Un homme peut faire du female gaze aussi bien qu’une femme. Le female gaze se présente donc comme une alternative où, attendez, écoutez bien, on propose de considérer les personnages féminins comme des sujets et non plus comme des objets beaux à regarder. Faire du female gaze c’est participer à la création d’un cinéma qui s’affranchit de ses conventions et les déconstruit. (…) Le « female » de female gaze ne fait pas référence à la personne qui crée ce regard mais à la personne que l’on va suivre. On va suivre un regard féminin. Il nous demande de nous metttre dans la peu des femmes plutôt que de les regarder. Il nous fait expérimenter le féminin.»

Laura Mulvey, Visual pleasure and Narrative Cinema, Edition Koening Book, 1975).

C’est guidé.e.s par l’essai essentiel d’Iris Brey que nous continuerons à développer un regard féminin sur les sujets et œuvres développées, de la manière la plus singulière et sensible possible. Nous la citons ici : « Si nous devions définir le female gaze, ce serait donc un regard qui donne une subjectivité au personnage féminin, permettant ainsi au spectateur et à la spectatrice de ressentir l’expérience de l’héroïne sans pour autant s’identifier à elle. La différence entre ressentir et s’identifier est capitale (…). Le female gaze, par conséquent, n’est pas un « portrait de femme », la question n’est pas seulement d’avoir un personnage féminin comme personnage central, mais d’être à ses côtés. Nous ne la regardons pas faire, nous faisons avec elle. (…) On peut dire ainsi que faire l’expérience du female gaze, c’est avoir la sensation de partager celle du personnage principal. Là où le female gaze devient genré, où il devient « féminin », c’est quand les spectateurs et spectatrices vivent ce que ressent une héroïne, un personnage de genre féminin. »

Crédits

Distribution

Sylvain Daï, Pierrick De Luca, Monia Douieb, Lou Joubert Bouhnik, Zoé Kovacs, Dorcy Rugamba.

Adaptation, mise en scène et dramaturgie

Jeanne Dandoy

Assistanat à la mise en scène et conseillère dramaturgique

Judith Ribardière

Scénographie

Matthieu Delcourt

Création Lumière

Alice De Cat

Création sonore

Olivia Carrère

Création costumes

Emilie Jonet

Chargée de production et diffusion

Valentine Siboni

Une production Seriallilith, en coproduction avec le Théâtre des Martyrs, avec le soutien du Théâtre de Liège (Ateliers de Construction et Atelier Costumes)

 

 

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Extrait

JACK FAVELL

Et comment va ce vieux Max ?

 

NARRATRICE

Super bien. Il passe la journée à Londres.

 

JACK FAVELL

Il laisse sa jeune épouse toute seule ? Quelle imprudence ! On pourrait vous enlever. Vous pourriez disparaître mystérieusement. Etre sauvagement assassinée. Vous connaissez Sharon Tate ?

 

NARRATRICE

J’ai pas cette heu joie.

 

JACK FAVELL

Sauvagement assassinée. Elle était enceinte. De 8 mois. Une horreur. Il s’en passe des choses en l’absence des maris.

Extrait

MME DANVERS

Vous avez cru que vous pouviez être Mme de Winter, vivre dans sa maison, prendre ses affaires. Mais Rebecca est trop forte pour vous. C’est elle la maîtresse ici. Vous ne pouvez pas la combattre. Personne n’y arrivera jamais jamais jamais! Elle a été vaincue, mais ce n’était ni par un homme, ni par une femme, mais par la mer! Seule la mer a vaincu Rebecca de Winter !

 

Extrait

NARRATRICE

(aparté)

Lorsqu’on subit un grand choc, comme la mort d’un proche ou la perte d’une jambe ou d’un bras, on ne s’en aperçoit pas tout de suite. Si on a la main sectionnée, durant quelques minutes, on n’a pas la conscience que sa main n’est plus là. On continue à sentir ses doigts. Je suis agenouillée là aux côtés de Maxim, mon corps contre son corps, mes mains sur ses épaules, et je n’éprouve aucune sensation, aucune douleur ni aucune peur, il n’y a aucun effroi dans mon cœur. Je regarde les chaussons élimés de Maxim et je me dis qu’il faut que je lui rachète une nouvelle paire de pantoufles, je me demande si Frith va entrer pour servir le thé. Je suis sidérée par mon manque d’émotion. Soudain…

 

Maxim embrasse fougueusement la Narratrice, avec dévotion.

 

Il ne m’a jamais embrassée comme ça.