« Il me paraît nécessaire aujourd’hui d’utiliser l’expression « regard féminin » afin de valoriser l’expérience féminine. (…) Ne pas mettre de mots, sur la représentation des expériences féminines, ne pas oser les analyser, c’est aussi une façon d’invisibiliser le point de vue d’une « minorité ». En regardant des centaines de films et de séries pour l’écriture de ce livre, j’ai été choquée que si peu d’expériences concernant le corps féminin (d’un personnage cisgenre ou transgenre) soient montrées. De manière physiologique (des seins qui poussent, aux règles, à l’orgasme, l’avortement, l’accouchement, l’excision, la ménopause) ou sociologique (l’exclusion, la domination, les violences sexuelles, le viol). Comme si ces états n’avaient pas d’importance. Nous assistons là à un mépris flagrant du féminin dans nos fictions, majoritairement écrites et réalisées par des hommes. Les autres fictions, celles qui épousent l’expérience féminine, interrogent les rapports de domination et de pouvoir au sein et en dehors de la diégèse, les rapports sur le plateau, aussi bien que la relation entre les spectateur.ice.s et l’œuvre : quel est le pouvoir de celui ou celle qui regarde ? »
Iris Brey[1]
Les femme écrivent le monde, elles racontent des histoires, et ce, depuis la nuit des temps. Nous en avons aujourd’hui la preuve. Les dessins des grottes de Lascaux seraient l’œuvre de dessinatrices et non de leurs homologues masculins, comme on l’avait toujours pensé jusqu’ici (reléguant les femmes aux tâches domestiques, déjà). Elles ont toujours raconté des histoires et le feront toujours. Mais dans quel cadre ? Dans quel contexte ? Depuis la maison ou depuis la montagne en face ? Depuis le bistrot ou depuis le coin de table de cuisine ?
Les lunettes que nous avons enfilées pour regarder la vie autour de nous ne nous permettent plus de la voir comme jadis, masculine, blanche, hétérosexuelle et jeune par défaut. Ces mêmes lunettes nous imposent de créer un langage neuf et sensible. Sans réinventer l’eau chaude, nous posons simplement la question de « qui regarde et pourquoi ? ». Et si, comme l’écrit si justement Iris Brey dans son essai[2], « les films female gaze s’efforcent de mettre l’expérience féminine au cœur de leur narration et de faire en sorte que les spectateur.ice.s ressentent la chair du personnage féminin », nous choisissons nous aussi de faire ressentir l’expérience du féminin aux spectateurices. Nous leur proposons de déplacer légèrement le cadre, le regard. Un décadrage qui semble mineur mais provoque cependant, à notre sens, une (r)évolution majeure.
Iris Brey nous rappelle aussi que « la question n’est pas seulement d’avoir un personnage féminin comme personnage central, mais d’être à ses côtés », et nous nous donnons comme mission de trouver comment « être à ses côtés ». Que signifie être aux côtés du personnage féminin principal ? Que signifie sortir des habitudes normées de distributions de genre ? Comment donner à ressentir l’expérience du féminin, ou plutôt du non-masculin ?
Notre recherche de nouveaux récits, de nouvelles mythologies, nous a amenées à explorer la littérature de genre, après avoir fait le constat que nombre d’œuvres de fictions, littéraires ou cinématographiques, mettaient en scène des personnages féminins enfermés, et devenues les proies d’une maison maléfique. Nombre de ces œuvres présentent le foyer familial comme hanté, toxique, dérangé, source de mal être, ensorcelé, en proie à une folie diabolique. La maison devient le lieu du dérangement, ou plutôt, la maison, énième membre d’une famille, en devient le symptôme, l’élément révélateur qui crache ou avale ses habitant.e.s.
Cette façon, pour les auteurices de fictions, au tournant du 20e siècle et jusqu’à aujourd’hui encore, d’enfermer des personnages féminins dans une maison toxique (voir hantée), serait-elle un moyen d’exprimer les millénaires d’oppression des femmes enfermées dans leurs foyers respectifs? Est-ce la maison qui aliène le personnage féminin? Est-ce le foyer qui oppresse au point de tuer? D’être tuée? De craindre ses propres enfants? De se perdre ou s’amalgamer à elle? De se croire folle? De préférer croire qu’elle l’est plutôt que de remettre l’autre en question? L’acceptation d’un trouble supposé vient-elle de l’enfermement ou d’une pathologie avérée? Quand le cerveau se met-il à délirer? Cette abondante littérature est-elle le symptôme d’un manque d’imagination? Ou vise-t-elle à brider celle-ci?
A travers ces héroïnes et leurs parcours tourmentés, nous questionnerons les structures familiales pensées et développées par une société façonnée par le patriarcat.
C’est à partir de ces questions et suppositions que nous développerons des projets singuliers dans des formes vernaculaires, proches d’une culture pop et populaire, empruntes de poésie trouble, féminine et solaire. Lumineuses oui, car nous défendons avec une volonté farouche, le fait que nos héroïnes, en dépit des tempêtes et troubles du foyer, survivent et dépassent leurs traumas. Nous défendons le fait qu’il ne faut pas mourir pour devenir une héroïne de fiction[3]. Comme une bannière, comme un étendard ou un drapeau, nous brandissons la conviction profonde de proposer des histoires de femmes résilientes, traversant des épreuves fortes et les surmontant. Nous n’évoquons que des parcours classiques, habituellement destinés aux personnages masculins[4], mais saisis sous une autre loupe.
Le concept que nous développerons durant les prochaines années s’articulera donc autour de récits issus de la culture populaire présentant des héroïnes fortes aux prises avec une maison dont l’apparence pacifique ne sera qu’un leurre. Des maisons-pièges. Nos histoires prendront racine dans la littérature anglo-saxonne et le cinéma de genre fantastique, les mythologies contemporaines. Et nous traiterons ces propositions scéniques en plaçant le regard du côté de l’héroïne féminine, en nous tenant au plus près, avec elle, dans un regard féminin.
[1] Iris Brey, Le regard féminin, une révolution à l’écran, édition L’Olivier, 2020.
[2] Iris Brey, Le regard féminin, une révolution à l’écran, édition L’Olivier, 2020.
[3] “Faut-il mourir pour être une héroïne de fiction?” : Titre et question posée lors de la table ronde que nous organisons le 11 février 2022 au Théâtre des Martyrs lors de la création de Merveille.
[4] Précisons que les personnages masculins ne sont absolument pas absents de nos récits, et qu’ils seront traités avec la même bienveillance et exigence que les personnages féminins. Simplement ce ne seront pas nos protagonistes principales.
Notre projet a été inauguré par:
Merveille (texte de Jeanne Dandoy) > saison 2022/23
Coming soon:
Rebecca (d’après les oeuvres de Daphné du Maurier et Alfred Hitchcock) > saison 2023/24
Suivront: La Maison Hantée (d’après l’oeuvre de Shirley Jackson), Frankenstein de Mary Shelley (d’après l’oeuvre de Mary Shelley), (en cours).
[1] Iris Brey, Le regard féminin, une révolution à l’écran, édition L’Olivier, 2020.
[2] Iris Brey, Le regard féminin, une révolution à l’écran, édition L’Olivier, 2020.
[3] “Faut-il mourir pour être une héroïne de fiction?” : Titre et question posée lors de la table ronde que nous organisons le 11 février 2022 au Théâtre des Martyrs lors de la création de Merveille.
[4] Précisons que les personnages masculins ne sont absolument pas absents de nos récits, et qu’ils seront traités avec la même bienveillance et exigence que les personnages féminins. Simplement ce ne seront pas nos protagonistes principales.
démarche artistique
SERIALLILITH est fondée par la metteuse en scène, autrice et actrice Jeanne Dandoy, pour accompagner et promouvoir principalement son travail artistique, mais aussi celui de ses proches collaborateurices.
A travers l’adaptation contemporaine de textes de répertoire ou la création de textes originaux, SERIALLILITH, cherche à explorer ce qui fait trembler le monde. De nouvelles façons de raconter aujourd’hui, en interrogeant hier ou les possibles demains, partant de l’intime pour toucher à l’ultime.
SERIALLILITH conçoit la création comme un dialogue avec le présent, le monde, les gens qui l’habitent et pourraient le changer, à travers un geste esthétique singulier.
Sa grammaire théâtrale explore un rapport au réel dénué de réalisme, empruntant au cinéma une affection pour le « hors champs » et les codes de genres. Le thriller psychologique s’y mue, par exemple, en thriller onirique…
SERIALLILITH agit dans la création scénique et cinématographique contemporaines en Belgique et à l’international, dans la médiation culturelle, la recherche et le développement de nouvelles formes artistiques.
Si les formes choisies pour raconter ses histoires varient, c’est que chaque récit mérite son dispositif propre.
Dramaturgie d’une compagnie spécialisée dans le sauvetage d’héroïnes en péril
Enfant, j’avais une attirance particulière pour les héroïnes tragiques. Les petites filles souffreteuses, accidentées, coincées dans une chaise roulante, fragiles me fascinaient. Je ne vouais aucune attention aux destinées glorieuses. J’avais vu un biopic évoquant la mort d’Isadora Duncan et portais comme elle, de longues écharpes potentiellement dangereuses. J’adorais La Petite Sirène (la vraie, pas celle de Disney), qui renonce à sa voix en échange de jambes, par amour pour son prince, et se transforme en écume n’ayant pu obtenir la réciproque. Par la suite, Les Hauts de Hurlevent devinrent un modèle absolu d’amour… impossible. J’en rirais volontiers si ces histoires diverses n’avaient durablement influencé la construction de ma personnalité, mes choix, mon mode de pensée et de fonctionnement. J’en rirais si cela ne m’avait pas persuadé que féminin rime avec sacrifice, don de soi, romantisme, abandon à l’autre et négation de ses propres désirs.
C’est assez récemment que j’ai pris conscience de l’énorme influence qu’avaient eues sur moi ces tragiques héroïnes. Pourquoi autant de petites filles et femmes étaient-elles systématiquement sacrifiées sur l’autel du destin, de la réussite d’un mari, d’un prince ou de la famille ? Pourquoi leurs auteurs (essentiellement masculins mais pas tous..), ne pouvaient-ils les rêver autrement qu’en être dociles, fragiles, sans volonté propre ou tellement jouets de leur désirs qu’elles en finissaient brisées ? Pourquoi la révolte au féminin était-elle automatiquement sanctionnée par la mort ?
Oui, le pouvoir de la fiction est immense. Et il a eu des incidences concrètes, terribles, sur ma vie. Dire que je le regrette est peu de choses. Proposer d’autres modèles, d’autres façons d’envisager une résolution de vie au féminin est sans doute, pour moi, un moyen de réparer ce qui se trouve être cassé (chez moi), et tenter de m’assurer que rien ne sera brisé, chez d’autres.
J’avoue donc avoir un faible pour les sauvetages d’héroïnes désespérées. Dans Hasta La Vista Omayra, une femme enceinte décide de mettre fin à ses jours, suite à ses angoisses sur les inexorables glissements de l’humanité. Elle, et son fœtus, sont sauvés in extremis, de même que sa croyance en un avenir possible. Pélican, aborde la domination intra-familiale par le biais de l’inceste. Le fils mettait feu au domicile familial, devenu le tombeau de ses habitant.es et brûlait mère et sœur. Dans notre ré-écriture, la famille incendie la maison dans un immense feu de joie préfigurant le début d’une ère nouvelle plus apaisée. Mademoiselle Else suit les tribulations d’une adolescente en proie à un odieux chantage sexuel, que l’auteur de l’œuvre initiale décidait de suicider. Mais Miss Else se révolte contre l’ordre patriarcal des choses, proposant un exemple brillant de jeune femme à la résilience extraordinaire. Sortir les héroïnes de l’ombre où elles sont trop souvent plongées, telle est, peut-être, l’une des missions que je me/nous suis/ai données. Comment toutes ces femmes qui, sur papier promises à un avenir tragique, pourraient-elles prendre leur destin en main, et devenir actrices de leur propre vie ?
Comment pourraient-elles s’émanciper des œuvres qui les condamnent, à travers leurs auteurs masculins, à une mort certaine ? A l’instar de femmes de plus en plus nombreuses dans le monde, à vouloir faire entendre leur voix, pour tenter de s’affranchir d’un patriarcat à la patte lourde, nos héroïnes ne se laissent plus faire, elles se révoltent contre l’œuvre en cours, elles sortent du cadre.
Petite histoire
Lilith, dans la légende biblique, serait l’égale de l’homme, non crée de sa côte, mais de la glaise, tout comme Adam. Liée à la déesse-mère, elle est figure de puissance féminine et d’indépendance. Insoumise à son époux, sexuellement libérée, elle est aussi détentrice du savoir et pourvue d’une grande intelligence…
Remerciements
SERIALLILITH c’est celleux qui y travaillent. Et pour le moment, les chevilles ouvrières en sont : Jeanne Dandoy, Valentine Siboni, Judith Ribardière, Jean-Louis Goderniaux, et d’autres collaborateurices précieux et ponctuels comme Emilie Jonet, Harry Charlier, Jos Baker, Olivia Carrère, Alice De Cat, Maxime Glaude, Arié Van Egmond, Jérôme Bollue, Michèle Végairginski… et tous les merveilles d’acteurices rencontrés et à rencontrer.
Gratitude envers tous celleux qui ont collaboré de près ou de loin : Amandine Laval, Jean Fürst, Amber Vandenhoeck, Charlotte Hermant, Nicole Morris, Maria Dermitzaki, Seda Guektasch, Marion D’Hainaut, Héloïse Trioen, Armenoui Afsar, Malika Aziz, Sébastien Boon, Jaqueline Crabbe, Patrick Delandtsheer, Guy Desmet, Justine Droeven, Nicole De Schrevel, Rashad Soufi, Daniel Wolt, Blanche Falaise, Nikitas Schraenen, Melina Schraenen, Jeanne Stekke, Julien Stroïnovsky, Margot Op de Beeck, Fred Op De Beeck, Les Ateliers de Constructions du Théâtre de Liège, l’Atelier Costumes du Théâtre de Liège, du Théâtre Varia, du Théâtre National WB, Smoners asbl, La Compagnie MAPS, Epona Guillaume, Alexandre Trocki, Nicolas Thill, Nicolas Oubraham, Didier Rodhot, Cristian Gutierrez Silva Julien Vargas, Catherine Salée, Sanders Lorena, Yamnia Takkaz, Chloé De Grom, Katrijn Baeten, Saskia Louwaard, Gilles Pollak, Peter Flodrops, Laurent Gueuning, Mohamadou Niane, Lionel Ravira, Florian Berutti , Maxime Glaude, Amandine Vandenheeden, Jean-Pierre Van Slijpe, Guillaume Istace, Erik Borgman ,Vincent Lemaire, Olivia Carrère, Xavier Lauwers, Marie Messien, Léna Piazza, Isabelle Pajot, François Bertrand, Matthieu Defour, Antoine Moors, Noam Rzewski, Lou Hérion, Clémentine Ribal, Laurent Steppé, Garrett List, Fred Op De Beeck, Manon Faure, Leïla Di Gregorio, Pierre Clément, Odile Dubucq, Camille de Sancy, Viggo Ebouele, Gladys Gillain, Mathias Simons, Christine et Catherine Picqueray, Patty Eggerickx, Vincent Hennebicq, Aurélie Molle, Jean-François Ravagnan, Zaza Da Fonseca, Johan Daenen, Nicole Moris, Yvan Harcq, Benoît Gillet, Frédéric Ghesquière, Nathanaël Harcq, Mathilde Lefèvre, Jean-Philippe Lejeune, Aline Mahaux, Dominique Brévers, Gilbert Letawe, Jean-Michel Balthazart, Alfredo Canavate, Jean-Pierre Baudson, Sophia Leboutte, Francine Landrain, Philippe Grand’Henry, Eddy Letexier, Catherine Salée, François Sikivie, Sophie Rousseau, Jean-Pierre Urbano, Myriam Simenon, Agnès Brouhon, Marie-Claire Dardenne, Eddy Niejadlik Laurence Bosmans, Claude Taymans, Alain Declerck, Alain Breuls, Manu Deck, Ateliers costumes et construction décor du Théâtre de Liège et du Théâtre National, … et de nombreux autres, dehors ou dedans les murs des théâtres, artistes, aux postes administratifs, créatifs, « rédactifs » (licence poétique),…
Et enfin, les directeurices (et partenaires) qui nous ont fait confiance et ont rendu les spectacles accessibles aux spectateurices : Serge Rangoni (Théâtre de Liège), Jean-Louis Colinet (Théâtre National, Théâtre de La Place, Festival de Liège), Sylvie Somen (Théâtre Varia), Cécile Van Snick (Atelier Théâtre Jean-Vilar), Philippe Sireuil (Théâtre des Martyrs), Geneviève Druet (Tanneurs), Pascal Keiser (La Manufacture Avignon), Anne André (La Maison Folie Mons), Jean-Marie Lefebvre (Centre Culturel de Tournai), Daniel Cordova (Mars Mons), Christian Machiels (Balsamine), Théâtre et Publics, Le Groupov, La Fédération Wallonie-Bruxelles-Direction Générale de la Culture, Service Général des Arts de la scène, et le Tax Shelter du Gouvernement fédéral belge, DC&J créations, La Coop, La Servante asbl.